11. La dépression et le
cancer
“ La dépression est une reddition
partielle à la mort, et il semble que le cancer soit un
désespoir vécu au niveau cellulaire. ” A.
Hutschnecker (55)
"Le cancer n'est que l'illustration corporelle
de l'état de mon âme." Fritz Zorn (56)
Même si l’on ne peut pas
dire que le cancer soit une maladie purement psychosomatique,
la recherche a mis l’accent sur certaines attitudes
psychologiques favorisant l’irruption de la maladie.
Il semble indispensable de mettre toutes les chances de
son côté et
d’envisager aussi le rôle actif que l’on peut jouer dans
le processus de guérison.
1° Par une stricte observance des traitements médicaux.
2° Par un travail personnel visant à retrouver le goût
de vivre et donner un sens nouveau à son existence.
L'un des témoignages les plus bouleversants
sur cette maladie est celui de Fritz Zorn. Zorn est un pseudonyme
et signifie « colère » en allemand.
Il écrit « Mars », se référant
au dieu de la guerre, juste avant de mourir d'un lymphome malin.
Dans cette autobiographie, l'auteur passe en
revue toutes les "bonnes raisons" qui l'ont amené à développer
un cancer. Voici le tout début de son écrit :
" Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et
seul. (...) J'ai eu une éducation bourgeoise et j'ai été sage
toute ma vie. Ma famille est passablement dégénérée,
c'est pourquoi j'ai sans doute une lourde hérédité et je
suis abîmé par mon milieu. Naturellement j'ai aussi le cancer, ce
qui va de soi si l'on en juge d'après ce que je viens de dire.
Cela dit, la question du cancer se présente d'une double manière
: d'une part c'est une maladie du corps, dont il est probable que je mourrai
prochainement, mais peut-être aussi puis-je la vaincre et survivre
; d'autre part c'est une maladie de l'âme, dont je ne puis dire qu'une
chose : c'est une chance qu'elle se soit enfin déclarée." (57)
Je trouvais étonnant que Zorn considère
le cancer comme une chance. Toutefois, en découvrant au
fil des pages sa misérable vie, faite de torture mentale
quotidienne, je compris davantage ce qu'il voulait dire.
Le véritable drame de Zorn est qu'il ne s'est jamais aimé : "La
faculté d'être heureux est détruite en moi", écrit-il.
(58)
Jamais il n'a connu la satisfaction d'une vie
riche de sens ni le plaisir qu'apporte une sexualité épanouie.
Cet être éternellement malheureux dit avoir toujours été confiné dans
la frustration : "Dire que je suis rongé par
la frustration est aussi plus qu'une simple façon de parler,
cela se passe concrètement, au niveau du corps. Oui, je
suis réellement rongé, en l’occurrence par
le cancer. En réalité, c'est cela le cancer, sa
cause, son origine, son désespoir, bien au-delà de
tout ce qui est purement médical." (59)
L'écriture de sa vie ne l'amena qu'à amplifier
son désespoir. Il s'agissait d'une analyse objective mais
qui ne se focalisait que sur ses souffrances et les aspects négatifs
de son existence. Il prenait conscience à chaque page,
avec une cruelle lucidité, de la distance qui l'avait
toujours séparée du bonheur. En écrivant,
il n'a ressenti que des émotions négatives et a
fini par se noyer dans la haine de son éducation, de ses
parents et dans sa souffrance infinie : "mon problème
c'est que j'ai été trop dévoré." (60)
Fritz Zorn était submergé par
un stress infernal, sans solution ; ses émotions semblent
s'être retournées contre lui.
À travers toute son œuvre, il
apporte un terrible témoignage de son impossibilité à s’adapter à son
existence. À l’âge de trente-deux ans, Fritz
Zorn fut délivré de sa triste vie.
C’est la raison pour laquelle je ne conseillerai
pas la lecture de son livre à une personne atteinte de
cette même pathologie.
Le cancer pourrait-il être une maladie
de l'âme dont l'origine et l'évolution sont liés à la
façon dont fonctionne l'esprit ?
Il semble que Pierre Desproges, décédé d’un
cancer, aurait été de cet avis. Hypersensible,
meurtri par la dureté de la vie, l’auteur des « Chroniques
de la haine ordinaire » semble avoir élaboré un
système de défenses grâce à son humour
parfois décapant, cynique voire désabusé.
« C’est dur à porter,
une haine pareille, pour un homme seul. ça fait mal. ça
vous brûle de l’intérieur. On a envie d’aimer
et on ne peut pas. Tu es là, mon frère, mon semblable,
mon presque moi (...). Mais au moment même où j’espère
que je vais t’aimer, tu me regardes et tu dis :
« Vous avez vu Serge Lama samedi sur la Une, c’était
chouette. » » (61)
Se focaliser sur les limites, décortiquer
les imperfections et les défauts nous enferme dans une
tendance à ne percevoir que le négatif et à en
souffrir. La déception permanente, qui en découle,
alimente le concert d’émotions négatives
qui peuvent générer ou entretenir à leur
tour un état dépressif et diminuer certaines fonctions
immunitaires.
D’où la nécessité de
se concentrer avant tout sur les qualités, les potentialités
et les ressources des êtres et des choses qui nous entourent.
Cela revient à apprendre à considérer
le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.
Les émotions positives que produisent
la satisfaction d’apprendre chaque jour de nouvelles
choses passionnantes, l’appréciation de l’autre,
le plaisir de se rendre utile, l’expression de l’amour...,
favorisent la mobilisation de ses ressources intérieures
et le fonctionnement optimum de son immunité.
A l’inverse, de nombreux auteurs montrent
les liens existant entre la dépression et une augmentation
de la fréquence des cancers ainsi que d’une mortalité précoce.
(62)
Dans le cadre de son doctorat de psychologie,
Gerits (1977) passe en revue les principales recherches sur ce
thème et observe que des événements de vie
majeurs (décès d’un être aimé,
divorce...) sont liés à un risque accru de cancer.
Les comportements dépressifs qui en
découlent, comme l'apathie, l'indolence et la fatigue
tendent à diminuer l'activité des cellules NK ce
qui a pour effet d'augmenter la prolifération tumorale
de cancers du sein. (63)
L'activité de ces cellules est corrélée
avec l'indice de Karnofsky, lequel témoigne de l'état
de santé général de l'individu.
Dans le cas du cancer, la qualité du
soutien émotionnel apparaît l'élément
le plus prédictif de l'activité de ces cellules.
Une personne qui n’est pas soutenue dans son épreuve
a moins de cellules NK que celle qui bénéficie
d’un soutien de ses proches. (64)
Le rôle de l'entourage familial, social, médical, etc, se
répercute assez directement sur les fonctions du système
immunitaire.
En d’autres termes, l’expression
et l’intégration de l’amour est sans doute
l’élément le plus bénéfique à l’état
de santé.
L’amour nourrit notre énergie
vitale.
Une anecdote citée par Simonton (1990)
illustre bien ce propos : une femme développe un cancer
quelque temps après son divorce. La maladie progresse
rapidement. Des métastases apparaissent et ses médecins
redoutent une phase terminale à brêve échéance.
Sa rencontre avec un homme dont elle tombe amoureuse bouleverse
les pronostics.
Elle connaît une rémission spontanée en l’espace
de quelques mois. Après l’avoir ruinée, l’homme
la quitte. Elle meurt en l’espace de quelques mois d’une récidive
fatale.
Fort heureusement tout le monde ne réagit
pas d’une façon aussi spectaculaire à la
dépression. Pourtant la progression du cancer, comme sa
guérison, apparaissent souvent en relation avec la psyché de
l’individu.
Des éléments d’explication
sont fournis par l'équipe de Glaser. Ils constatent chez
des personnes très fortement déprimées une
plus faible réparation de l'ADN, par référence à un
groupe de personnes moins déprimées.
Des conclusions identiques apparaissent lorsque
les résultats de ce dernier groupe sont comparés à ceux
de personnes non déprimées. (65)
Cette étude suggère que la dépression
contribue à un développement cellulaire anormal
ou une réduction de certaines défenses immunitaires.
D’autres recherches ont montré que
les personnes déprimées doublaient leur risque
de développer certains cancers, par référence à des
personnes non déprimées. (66)
D’où l’importance d’exprimer
ses émotions et de d’entreprendre une démarche
psychothérapeutique parallèlement aux traitements
médicaux pour améliorer sa qualité de vie
(67) et renforcer son état de santé. (68)
En effet, « C’est bien la
conjonction de divers facteurs psychosociaux, événements
de vie stressants (dont la perte d’un être cher),
dépression clinique, stratégies d’impuissance
(désespoir, non-expression des émotions) qui pourrait
induire l’immunodéficience et donc faciliter la
carcinogénèse d’après les travaux
récents menés en psycho-neuro-immunologie. » (69)
Malgré plusieurs centaines de recherches
effectuées sur les thèmes du stress, de la dépression
et du cancer, il est important de savoir qu'aucune certitude
n'est pourtant tout-à-fait établie pour de nombreux
scientifiques. En effet, certaines études indiquent parfois
une apparente absence de lien entre les facteurs stress, dépression
et maladies cancéreuses.
Toutefois, comme l'a écrit avec justesse
Claude Bernard, "Les faits sont les matériaux inébranlables
de la science".
Ainsi, on peut tout de même constater
qu’un grand nombre de recherches expérimentales établissent
une relation significative entre un stress
majeur, une attitude
dépressive et la progression du cancer, notamment du cancer
du sein.
_______________________________________
(55) Hutschnecker A. (1954). La
volonté de vivre. Robert Laffont.
(56) Zorn F. (1983). Mars,
Folio, 315 p. (p. 230).
(57) Idem p. 33.
(58) Idem p. 242.
(59) Idem p. 243.
(60) Idem p. 265.
(61) Desproges P. (1983). Vivons
heureux en attendant la mort. Points. 186 p.
(62) Niemi T. & Jaakelainen J. (1978).
Cancer morbidity in depressive persons. J Psychosom. Res.,
22, 117-120.
Whitlock F. A. & Siskind M. (1979).
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Cancer and depression : cancer with depressive illness : a autoimmune
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(63) Schleifer S. J., Keller S. E.,
Siris S. G., Davis K. & L., Stein M. (1985). Depression
and immunity. Arch. Gen. Psychiat., 42, 129-133.
(64) Levy S. M., Herberman R. B., Whiteside
T., Sanzok., Lee J. & Kirkwood J. (1990 A). Perceived
social support and tumor estrogen/progesterone receptor status
as predictors of natural killer cell activity in breast cancer
patients. Psychosomatic Medecine, 52, 73-85.
(65) Kiecolt-Glaser J. K., R. E. Stephens,
P. D. Lipetz, C. E. Speicher & Glaser R. (1985
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of Behavioral Medecine, 8, 311-320.
(66) Siegel B. (1989). L'amour,
la médecine et les miracles. Laffont. 245 p.
(67) House J. S., Robbins C. & Metzner
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L'état humain n'est-il pas psychosomatique ? Le Quotidien
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mental modifie-t-il le risque de cancer et l'évolution
? Le Quotidien du Médecin., 7 dec., 3974, 16.
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S. & col. (1968). Psychological factors in the
outcome of human cancer. J. Psychosom. Res.,12, 251-259.
Pour plus d’informations voir
le chapitre 25.
(68) Cf : Chapitre 26
(69) Gerits L. J. H. (1997). Psychoneuroimmunology
and breast cancer. Predictors of acute stress symptoms as a
consequence of the diagnosis. Université d’Etat
de Leyde (Pays-Bas) : Doctorat de Psychologie. Heath psychology
series, N° 3. p 97-100 cité par Bruchon-Schweitzer
M., Cousson-Gélie F., Tastet S. & Bourgeois M. L. (1998).
Approche de la psychologie de la santé. L’Encéphale
du praticien. Numéro Hors série 2, Décembre.
(p. 12).
: Hypnothérapie
en ligne |