Notre médecine est-elle vraiment
la meilleure du monde ?
Chronique de Sylvie Simon
Notre médecine est-elle vraiment la meilleure
du monde ?
« On n’a pas le droit de laisser à l’industrie
un pouvoir de vie ou de mort sur les patients ».
Dr Kessler - Le Quotidien du médecin -26
février 1996
Chaque année, l’Inserm nous répète
que, grâce à notre médecine — la
meilleure et la plus enviée du monde — l’espérance
de vie progresse, la France se situant en la matière au
deuxième rang mondial pour les femmes et au quatrième
pour les hommes, derrière le Japon, les Pays-Bas et la Suède.
Ce résultat rassurant est le fruit de manipulations statistiques
servant de justification à un accroissement régulier
des prélèvements sociaux, ce qui vaudrait à tout
industriel un redressement fiscal, une garde-à-vue et des
poursuites judiciaires.
Mais, en réalité, une autre étude
de l’Inserm, réalisée en 1992 en collaboration
avec le Haut Comité de Santé publique et publiée
en 1996, démontre magistralement — par les chiffres — que
les taux de décès des Françaises et des Français
nés après 1938 sont très sensiblement supérieurs à ceux
des pays voisins comme la Suède, mais aussi le Royaume-Uni
et même l’Italie ! La mortalité est supérieure
de 18,3 % pour les femmes et 35,5 % pour les hommes
par rapport à la Suède, 6,5 % pour les femmes
et 24 % pour les hommes par rapport à la Grande-Bretagne,
et 6 % pour les femmes et 16,3 % pour les hommes par
rapport à l’Italie.
Ces chiffres peuvent surprendre étant
donné que pour les personnes nées avant 1938, ils étaient
inversés, la mortalité étant largement inférieure
en France que dans ces pays.
Paradoxalement, cette étude, publiée
très confidentiellement aux Editions Le Monde, n’a
pas fait l’objet de commentaires par les médias, ni
par les pouvoirs publics. Comment ces derniers pourraient-ils,
en effet, expliquer cette inversion ? Certains médecins
et surtout les immunologistes pensent que ce n’est pas sans
rapport avec l’apparition des vaccins obligatoires en France à partir
de cette époque.
La mortalité prématurée,
c’est-à-dire celle intervenant avant l’âge
de soixante-cinq ans, est à l’origine de 25 % des
décès annuels dans l’hexagone. Ce pourcentage
est très supérieur à celui des autres pays
de la Communauté européenne, excepté le Portugal.
D’après l’Inserm, la mortalité pour le
Français de 25 ans est le double de celle des Suédois
ou des habitants du Royaume-Uni.
De même, les Grecs de 25 à 65 ans
sont en meilleure santé que nous, avec des dépenses
de santé très loin d’égaler les nôtres.
On peut se demander si ce triste constat est
subordonné au fait que le médecin français
est le champion d’Europe de la prescription de médicaments,
psychotropes, anti-migraineux, hypertenseurs et antibiotiques,
avec des ordonnances quatre fois plus importantes que celles de
la Grande-Bretagne et six fois plus que celles de l’Allemagne
et que 70 à 80 % des médicaments provoquent
plus de dégâts qu’ils n’en soignent.
Quant aux antibiotiques, 80 % des souches
de staphylocoques présents dans la population générale
et 95 % dans les hôpitaux résistent à la
pénicilline. Bien que cette résistance des microbes
soit continuellement dénoncée, certains médecins
continuent de prescrire des antibiotiques pour le moindre
rhume et même pour la grippe alors que l’on sait qu’ils
n’ont aucun effet sur les virus, souvent il est vrai à la
demande pressante des patients mal informés.
Ils représentent 35 % des prescriptions
pédiatriques. On considère que les nourrissons en
absorbent en moyenne trois fois par an, ce qui explique pourquoi
les pneumonies, les méningites et les otites sont de plus
en plus nombreuses et de plus en plus graves et 65 % des enfants
qui souffrent d’affections O.R.L. sont traités par
des antibiotiques. Si l’on compare en pourcentage la résistance
des staphylocoques en Europe, on constate qu’elle est de
0,01 % au Danemark, 0,03 % en Suède, 1,5 %
en Hollande, 1,8 % en Suisse. Ce chiffre grimpe à 5,5 %
en Allemagne, pour arriver à 30,3 % en Espagne et enfin
33,6 % en France (chiffres publiés par La Recherche
de novembre 1998). A-t-on jamais entendu parler de médecins
blâmés pour avoir abusé de ces prescriptions ?
Pourtant, à long terme, elles peuvent tuer puisqu’elles
induisent une antibio-résistance.
Il est évident que nous ne pouvons nier
les progrès de la technologie, particulièrement en
chirurgie, discipline qui a spectaculairement évolué depuis
les dernières décennies. Il est aussi incontestable
qu’elle sauve de nombreuses vies humaines avec des moyens
bien moins traumatisants qu’autrefois. Mais les progrès
de santé de ces dernières décennies doivent être
davantage attribués à l’hygiène, à de
meilleures conditions de vie et au recul de la pauvreté,
plutôt qu’aux avancés de la médecine
qui s’attribue pourtant l’exclusivité de cette
amélioration. C’est ainsi qu’il est plus facile
de trouver des fonds pour financer la recherche médicale
ou la construction d’hôpitaux que pour commanditer
l’adduction d’eau potable.
Dans une interview accordée au Généraliste
le 26 octobre 1999, le Pr Norbert Gualde, chef du service d’immunologie à l’université de
Bordeaux, a déclaré : « Nous n’avons
pas fini avec les épidémies ». Pour lui
aussi, un monde utopique, dépourvu de microbes, est difficile à imaginer.
Il constate que « de façon significative, le
progrès socio-économique, diminuant l’immunité acquise
des populations, peut favoriser certaines infections : au
Maroc, avant la vaccination contre la poliomyélite, les
Français étaient vingt fois plus atteints que les
Marocains ».
En 1975, le philosophe Ivan Illich avait publié aux Éditions
du Seuil un ouvrage qui fit grand bruit à cette époque
et qui reste plus que jamais d’actualité, La Némésis
médicale. Ivan Illich constate, lui aussi, que les sociétés
nanties d’un système médical très coûteux
sont impuissantes à augmenter l’espérance de
vie, sauf dans la période périnatale, que la multiplicité des
actes médicaux est impuissante à réduire la
morbidité globale et que ces actes médicaux ainsi
que les programmes d’action sanitaire sont devenus les sources
d’une nouvelle maladie : la maladie « iatrogène »,
c’est-à-dire engendrée par la médecine.
« L’infirmité, l’impuissance,
l’angoisse et la maladie occasionnées par les soins
professionnels dans leur ensemble constituent l’épidémie
la plus importante qui soit et cependant la moins reconnue. Les
mesures prises pour neutraliser la iatrogénèse continueront à avoir
un effet paradoxal, elles rendront cette maladie médicalement
incurable encore plus insidieuse, tant que le public tolèrera
que la profession qui engendre cette maladie la cache comme une
infection honteuse et se charge de son contrôle exclusif. »
Pour Illich, la somme des actes préventifs
diagnostiques et thérapeutiques abaisse globalement le niveau
de santé de toute la société, en réduisant
ce qui précisément constitue la santé de chaque
individu : son autonomie personnelle. Il prêche l’abolition
d’une « prêtrise sanitaire qui impose une
médecine morbide » et d’un fléau
contagieux : « l’invasion médicale ».
De même, la médecine préconisée
par le ministère de la Santé (ou de la maladie ?)
semble impuissante à guérir, tant les maladies chroniques
dont souffre un tiers des Français, que la plupart des 240
000 nouveaux cas annuels de cancer, maladie qui représente
la première cause de décès, dont 35 %
chez les personnes âgées de 35 à 45 ans, ce
qui dément formellement les déclarations qui prétendent
que si le cancer est en progression, c’est à cause
de l’allongement de la durée de vie.
Entre 1970 et 1990, les cancers des poumons
ont augmenté de 110 %, ceux des bronches de 75 %, des
ovaires de 94 %, et du sein de 60 %. Et d’après
André Aschieri, en France, les lymphomes ont grimpé de
67 % et les tumeurs du cerveau de 46 % en dix ans. (cf.
La France toxique, santé-environnement : les risques
cachés, Ed. La Découverte).
Si le cancer du sein a tellement augmenté,
il est évident que les traitements hormonaux, contraceptifs
ou de substitution, portent une immense responsabilité dans
cette expansion. Une étude portant sur plus de 46 355
femmes ménopausées aux Etats-Unis au cours des années
1980-1995 et publiée par C. Schairer et coll, du National
Cancer Institute dans la revue Jama (2000, vol 283, n°4, 26
janvier 2000), montre une augmentation du risque d’apparition
du cancer du sein de l’ordre de 8 % chaque année
lors de l’utilisation d’un œstro-progestatif
(EP), soit 80 % après dix ans de traitement. De leur
côté, R.K. Ross et coll signalent ces mêmes
risques dans le Journal of the National Cancer Institute du 16
février 2000 (92 n°4, 328-32).
On a également constaté une inquiétante
augmentation des cancers du cerveau chez les moins de 15 ans. Il
serait important de considérer cette donnée comme
primordiale : pourquoi, soudain, cette flambée des
cancers du cerveau chez des jeunes ? La pollution de l’environnement,
toujours donnée comme prétexte, contribue sans doute à cette
détérioration de la santé, mais elle n’est
pas suffisante pour l’expliquer, particulièrement
chez les moins de 15 ans.
Aussi est-il tellement raisonnable d’écouter
le credo récité par les médias qui nous invitent à toujours
donner plus pour la recherche contre le cancer et qui nous cachent
soigneusement que la situation n’est pas en voie d’amélioration ?
Car c’est là un secret d’Etat dans tout pays
dit développé. Et pour cause, si ce secret venait à être
divulgué, qui donnerait encore généreusement à cette
recherche officielle qui ne trouve pour ainsi dire jamais ?
De toute manière, plutôt que de
guérir le cancer, n’est-il pas préférable
de chercher à le prévenir grâce à des
changements d’hygiène de vie ? Mais cette politique
de santé, ne rapportant pas aux laboratoires, n’intéresse
personne et ainsi le cancer fait toujours vivre plus de gens qu’il
n’en tue.
Aussi est-il tellement raisonnable d’écouter
le credo récité par les médias qui nous invitent à toujours
donner plus pour la recherche contre le cancer et qui nous cachent
soigneusement que la situation n’est pas en voie d’amélioration ?
Car c’est là un secret d’Etat dans tout pays
dit développé. Et pour cause, si ce secret venait à être
divulgué, qui donnerait encore généreusement à cette
recherche officielle qui ne trouve pour ainsi dire jamais ?
Notre médecine est également responsable
chaque année, en France, de 15 000 morts par maladies
nosocomiales — chaque année, près de 800 000
personnes sont victimes d’infections dans les hôpitaux — et
de près de 20 000 décès par maladies
iatrogènes. Sans compter ces « erreurs médicales »,
les Français sont de plus en plus malades, avec une spectaculaire
et effarante augmentation de 210 % des maladies mentales et
de 960 % des maladies endocriniennes (cf. enquêtes annuelles
Credes/Cnam).
Pour la mortalité maternelle, nous nous
situons au quinzième rang européen et au dix-huitième
rang des pays industrialisés. Quant aux deux millions de
handicapés physiques et mentaux, ils sont parqués
dans des hôpitaux qui ne leur dispensent à haute dose
que des calmants, des anesthésiants, mais pas des thérapeutiques
efficaces.
Incontestablement, les dépenses de santé,
qui représentent 6 % de la richesse nationale, sont
l’un des secteurs productifs majeurs de l’économie
française. Selon une étude du Centre de recherche,
d’étude et de documentation en économie de
santé, les activités de santé seraient une
branche économique « comme les autres »,
ce qui n’est pas normal étant donné son mode
de financement auquel nous participons tous, de gré ou de
force. Il faut s’empresser d’ajouter que dans ce contexte,
ce qu’on appelle la « santé » est
essentiellement la « maladie ». La santé ne
fait pas vivre les laboratoires, seule la maladie intéresse
ces producteurs de consommation. Comme le signale la revue L’Ecologiste
(n°1 automne 2000) : « La bonne santé porte
préjudice à la rentabilité du capital. Tout
sera donc fait pour s’en débarrasser ».
Sylvie Simon - Auteur,
journaliste.
Etude de l’Inserm, réalisée
en 1992 en collaboration avec le Haut Comité de Santé publique
-Editions Le Monde
La Recherche de novembre 1998
Généraliste le 26 octobre 1999,
le Pr Norbert Gualde,
La Némésis médicale - Ivan
Illich – Le Seuil
La France toxique, santé-environnement :
les risques cachés - La Découverte
Jama - vol 283, n°4, 26 janvier 2000
Journal of the National Cancer Institute - 16
février 2000 (92 n°4, 328-32)
L’Ecologiste (n°1 automne 2000)
La décadence
de notre médecine.
La
médecine est-elle un art ou une science ?
Notre médecine est-elle vraiment la
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