Dans le cadre de ce passionnant congrès,
j'ai eu le plaisir d'animer un atelier de quatre heures sur
l'auto-hypnose et d'intervenir en séance plénière dans le
cadre d'une conférence sur le thème :
Les états de conscience modifiés
:
des espaces culturels de reconstruction psychique.
Pour profiter pleinement de de cette
conférence,
je vous invite à prendre une position confortable, à respirer
amplement, profondément plusieurs fois de suite et à laisser
vos paupières se fermer tout en laissant votre corps
se relaxer profondément grâce à l’évocation
d’un très bon souvenir.
Vous pouvez ainsi accéder simplement à un état
de conscience modifié tout en continuant à écouter
ce que je raconte et dont vous pourrez mémoriser et
vous approprier uniquement ce qui vous est utile.
La conscience est l’une des fonctions vitales qui
assure la survie de l’individu grâce à la
capacité qu’elle génère de s’adapter à l’environnement.
Cette conscience se décline en quatre états
:
- l’éveil actif
- le sommeil lent
- le sommeil paradoxal
- et l’état de conscience modifié
Dans le cadre de cet exposé, nous nous intéresserons à ce
quatrième état de conscience qui peut être
cultivé par des techniques psychologiques mais aussi
spirituelles.
Cet état de conscience, décrit dans les expériences
mystiques et transcendantales, rapproche du divin, du moi
océanique où l’on se perçoit comme étant
relié aux autres et au monde par une parfaite harmonie.
Et tout autour du monde, de nombreuses
pratiques permettent d’y parvenir, sous réserve d’un investissement
personnel régulier et assidu :
La prière, dénominateur commun de toute religion,
constitue très probablement l’origine de la
modification de l’état de conscience dans l’histoire
de l’humanité. Au commencement était
le verbe ; et le verbe est éminemment culturel en
ce sens qu’il reflète l’ensemble des aspects
intellectuels, artistiques et idéologiques d'une civilisation.
De façon générale,
quelle que soit sa culture, lorsqu’il ne semble plus
y avoir d’issue à un problème existentiel,
le recours ultime du croyant, ou même du plus athée,
est ce recueillement.
Chacun se centre sur soi, se concentre
sur l’espoir
de voir la difficulté se résoudre, et fait
appel aux dieux ou à sa propre divinité. Comme
vous le savez, l’espoir fait vivre et la foi soulève
les montagnes. Ainsi, chacun évoque, en fonction de
la cosmogonie à laquelle il adhère, ses parents
disparus, son ou ses dieu(x), ses prophètes ou ses
apôtres.
Saint Thomas d’Aquin écrivait à ce propos
: “ Toute idée conçue dans l’âme
est un ordre auquel obéit l’organisme : ainsi,
la représentation de l’esprit produit dans le
corps, ou une vive chaleur ou le froid ; elle peut engendrer
ou guérir la maladie. ”
Marc, dans le Nouveau Testament (XI,
24), l’a exprimé clairement
: “Tout ce que vous demanderez dans la prière,
croyez fermement que vous l’avez obtenu et cela vous
sera accordé."
L’absorption dans le divin crée un état
de conscience chargé d’émotions positives,
bénéfiques aux processus de santé comme
en témoignent les miracles recensés en tout
lieux et à toute époque.
De même, des cérémonies spécifiques à chaque
culture sont pratiquées par les chamans et les guérisseurs
de tous les pays. Ils utilisent le plus souvent dans le cadre
de rituels la récitation de prières ou de mantras
(étymologiquement : protection de l’esprit),
les chants et parfois les danses, la création de sonorités
répétitives favorisant un état de transe
grâce aux tambours ou à d’autres instruments
de musique, voire l’absorbtion de substances psychédéliques
favorisant, comme l’a expérimenté Huxley,
l’ouverture des portes de la perception - ce qui permet
d’opérer un recadrage inédit de la situation
problématique.
Ces différents
moyens sont destinées à favoriser de nouvelles
expériences de résolution de conflits internes
grâce à l’exploration de ses ressources
personnelles.
Pour Milton H. Érickson : “un guérisseur
voit au-delà de la pathologie du patient, il met en
lumière ses forces et les mobilise, et il l’aide à avancer
au-delà de ses limitations;
Il trouve des moyens d’ouvrir un passage vers l’esprit
inconscient et d’amener les patients à voir
leur réalité différemment.
A l’aide d’histoires, de symboles, de mythes
partagés et en prescrivant des rituels, des cérémonies
et même des épreuves ou des ordalies, les guérisseurs
amènent les gens à porter un regard nouveau
sur ce qui leur est familier;
Il crée une expérience de guérison
unique pour chaque individu, expérience dans laquelle
le patient et le guérisseur sont totalement impliqués.” (1)
De façon générale, la modification
de l’état de conscience correspond, en fonction
des auteurs, à des dénominations spécifiques
qui tiennent compte des dimensions culturelle et historique
directement associées à leurs conceptions :
- Il est ainsi baptisé en Inde Turiya (ou chaturtha).
C’est un terme sanskrit qui désigne un état
de conscience pure et de béatitude. Il est favorisé par
la focalisation sur le cycle de son souffle vital, d’inspiration
et d’expiration, créant ainsi un état
de méditation qui favorise une prise de conscience
de soi sans objet ni sujet, éloigné du dualisme
habituel du moi et du non-moi et de toute influence matérielle.
Le plus souvent, la méditation se
caractérise
par une concentration centripète dans l’ici
et maintenant sur un seul point de référence
qui peut être interne : respiration, relaxation, sensation,
incantation, visualisation, paix intérieure, vacuité de
l’esprit... ou externe : focalisation sur l’observation
attentive d’un objet ou d’une sonorité,
d’une image ou d’un symbole.
Les techniques de méditation se trouvent associée à de
nombreux courants philosophiques ou religieux : bouddhisme,
hindouhisme, jaïnisme; sikkisme, taoïsme, yoga,
islam ou chrétienté.
Un lien évident entre l'esprit et le corps s'actualise
dans la pratique de la méditation. C’est d’ailleurs
le traitement millénaire que l’hindou non occidentalisé utilise
pour retrouver l’état de santé. Il en
va de même dans la majeure partie des sociétés
de culture traditionnnelle.
Ainsi, lorqu'un problème de santé apparaît,
celui qui en est atteint s'isole quelques jours de son village
et va méditer et prier loin des autres, dans la nature.
Le simple fait de créer un état de conscience
modifié et d'espérer le changement suffit bien
souvent à la disparition du trouble.
D'ailleurs depuis la nuit des temps,
cette connaissance s'est fondue jusque dans la langue de
ce pays. En hindi, le mot santé se dit svastha ( sva correspond à :
je ; stha équivaut à : stable), ce que nous
pourrions traduire par le moi équilibré, l'harmonie
entre soi et les autres, son corps et son esprit.
Pour renforcer son état de santé, la pratique
de techniques comme les différents types de yoga (étymologiquement
l’union avec le divin) est préconisée.
Dans les pays du Maghreb, ce type
de pratique s’assimile à la
Mouraqaba (étymologiquement le lien du coeur) issue
de la méditation soufie.
Chacun est invité à méditer en écoutant
le Coran, des salawats ou des sons mélodieux.
L’objectif est de parvenir graduellement au Ghaïba,
un état d’effacement correspondant à l’absence
du monde des sens ou encore au Fana, l’état
de conscience le plus élevé évoquant
l’extinction où l’on est détaché du
monde matériel et grâce auquel il devient possible
de rencontrer Allah.
En Asie, et particulièrement en
Chine, la rencontre de la philosophie taoïste avec la
pratique des arts martiaux a donné naissance au Taï Chi
Chuan (étymologiquement
: boxe du faite suprême). Il s’agit à la
fois d’une gymnastique de santé, d’un
art martial et d’une voie spirituelle.
Une autre forme de gymnastique traditionnelle
chinoise est le Qi Gong. C’est à la fois une science de la
respiration et de la maîtrise de l’énergie
vitale.
Ces deux pratiques associent un travail
sur le souffle, sur la prise de conscience de son corps
et sur la concentration sur de lents mouvements harmonieux
qui donnent accès à un état
de conscience modifié.
En occident, les techniques de relaxation
se sont progressivement imposées en incluant une dimension de laïcité propre à nos
cultures.
C’est le cas de l’hypnose et de l’hypnothérapie,
du rêve éveillé dirigé ou du training
autogène, de la sophrologie de l’hypno-analyse,
ou du bio-feed-back.
Le plus souvent, respiration, relaxation
musculaire progressive et représentation mentale sont à l’oeuvre
dans ces processus de modification de l’état
de conscience.
Grâce à ces techniques, l'individu se "débranche" des
stimulations du monde extérieur et se centre sur lui-même.
Peu à peu, la concentration et le recueillement lui
permettent de profiter d'une détente et d'un plus
grand sentiment de paix et de sérénité,
ce qui favorise une reconstruction psychique sur de nouvelles
bases.
D’autant que cette modification de l'état de
conscience induit un mode de fonctionnement cérébral
différent.
Généralement, face à un stress, l'individu
cherche à contrôler la situation. Il l'analyse "objectivement" de
façon cartésienne et rationnelle afin d'élaborer
un ensemble de solutions. Cette démarche est liée
au mode de fonctionnement de l'hémisphère gauche
qui est notamment spécialisé dans le traitement
de la parole d'un point de vue verbal et linguistique.
À l'inverse, l'hémisphère
droit est impliqué dans les processus d'imagerie mentale.
L'émotion y est prédominante au même
titre que la créativité.
Certains chercheurs estiment que
l'état de conscience
modifié met "en veilleuse" l'hémisphère
rationnel conscient au profit de l'hémisphère
créatif inconscient. Des solutions nouvelles et non
envisagées peuvent alors apparaître et favoriser
ainsi un réaménagement psychique en profondeur.
Un spécialiste américain (Wickramasekera) estime
que : "Les patients réagissant bien aux placebos,
tout comme les bons sujets hypnotiques, inhibent le mode
critique, analytique de traitement de l'information caractéristique
de l'hémisphère dominant et verbal (hémisphère
gauche)." ; Et cela au profit de l'utilisation de l'hémisphère
droit.
Cette conception tend à expliquer que l'état
de conscience modifié permette de bénéficier
d'une meilleure adaptation face au stress, d'où une
logique rétroaction au niveau de la psyché,
mais aussi du système immunitaire.
Un certain nombre de recherches expérimentales montrent
que ces techniques de gestion du stress mettent en action
le système parasympathique, dont l’activation
est liée au bien-être psychologique et somatique.
Celui-ci correspond à un état de vagotonie,
de tranquillité intérieure, dont l'action bénéfique
se ressent sur les systèmes immunitaire, endocrinien
et, de façon générale physiologique.
Comme nous l’avons vu, la dimension culturelle est à l’oeuvre
dans chaque processus spécifique de modification de
l’état de conscience.
En effet, chaque culture dispose
de ses techniques privilégiées
propres à ses modes de représentation, à ses
symboles et à son histoire.
Parvenu à ce niveau de nos réflexions, on
peut s’interroger :
existe-t-il un ou plusieurs états de conscience modifiés
?
Je serais tenté de penser qu'il en existe une infinité.
Notre état de conscience semble prédéfini
par une multitude de facteurs
Il en découle la façon dont nous participons à créer
la réalité qui nous environne.
À partir de là, notre état de conscience
est également modifié en permanence par tout
un ensemble de facteurs externes : par la façon dont
on a passé la nuit, par notre alimentation, notre
environnement, nos interactions avec les autres et avec le
monde extérieur...
Notre état de conscience semble donc se modifier
en permanence au gré de nos expériences de
vie mais aussi en fonction de notre adéquation avec
notre culture.
Certains de ces états de conscience sont favorables à notre
vitalité et il est bien sûr utile de les cultiver.
Tout ce qui constitue l’optimisme,
l’espoir,
la joie, la curiosité, l’enthousiasme, le bonheur,
etc., participe à nous mettre en contact avec la pulsion
de vie et à en ressentir les bienfaits au niveau
psychologique et somatique.
D’ailleurs, dans la mythologie grecque, après
bon nombre d’épreuves dans lesquelles la nature
sous toutes ses formes s’avère une précieuse
alliée, Psyché parvient à reconquérir
l’amour d’Eros et donne naissance à leur
fille Volupté.
En d’autres termes, l’esprit
qui aime la pulsion de vie engendre ce voluptueux sentiment.
Et comme nous l’avons vu, c’est justement ce
sentiment de volupté qui émerge de la modification
réussie de l’état de conscience.
Il est possible d’émettre l’hypothèse
que l’efficacité de ces techniques repose sur
le fait de puiser dans nos ressources intérieures
façonnées par notre culture mais aussi d’explorer
notre propre divinité dans le cadre d’un état
de conscience modifié.
C’est en cela que les états
de conscience modifiés constituent des espaces culturels
de reconstruction psychique.
A présent, je vous invite à respirer amplement,
profondément plusieurs fois de suite et à prendre
conscience de votre corps, peut-être beaucoup plus
relaxé et confortable de façon durable.
Vous pouvez laisser bouger légèrement vos
mains et vos pieds, vos bras et vos jambes et vous étirer
comme le font les chats avec volupté après
une bonne sieste.
Et vous pouvez apprécier de laisser vos paupières
s’ouvrir et revenir ici et maintenant tout à fait
réveillé, empli d’énergie positive
et en pleine forme. C’est très bien.
Je vous remercie pour votre attention.
Paul Zveguinzoff
Psychologue clinicien, hypnothérapeute
(1) Le Dr Milton H. Érickson - médecin et
guérisseur américain. B.A. Érickson
et B. Keeney. Le Germe. 2008. Témoignage de C. Hammerschlag
- p. 269.
____________________________________________
Préalablement à ces rencontres de psychiatrie,
j'ai animé pendant trois jours une initiation
à l'hypnothérapie éricksonienne.
Pour découvrir les formations à l'hypnothérapie
réalisées à Bejaïa, Alger, Tizi-Ouzou, Toulouse et
Paris 2015 et 2016... |